L’Irak est sur le point d’amorcer un processus de démolition des valeurs anciennes.
Prof. SOYER Alain Elie
L’idée de cette étude est le fruit d’une conversation entre le grand penseur irakien, M. Hassan Al-Alawi (1), et moi-même. Je lui ai soumis cet article avant de le publier, afin qu’il en fasse une critique scientifique profonde. D’autres études sont nées de cette conversation, mais elles sont encore en cours.
La présente étude porte sur des phénomènes sociaux et psychologiques, et exclue les sphères religieuses et politiques. Elle aborde la singularité de l’Irak et des Irakiens, et propose notamment une interprétation possible des phénomènes sociaux en cours.
Le terme de démolition n’a pas ici un sens négatif. En termes d’analyse scientifique, il désigne le produit du mouvement de l’histoire, qui se caractérise par la construction et la démolition. Tous les organismes, vivants comme non vivants, sont soumis à la loi naturelle de la démolution et de la construction. Ce phénomène agit sur le corps humain lentement, au quotidien, sans que nous le sentions. En revanche, dans des cas comme les tremblements de terre et les éruptions volcaniques, il apparaît violemment. Cette dualité se retrouve au sein des sociétés humaines. Pour certaines nations, la démolition et la construction se déroulent calmement, pour d’autres, dans la violence. Ainsi, le peuple anglais est parvenu à instaurer la démocratie et le parlement de manière pacifique. Par contre,dans le cas français, la démocratie et le parlement ont été obtenus au prix d’une révolution sanglante en 1789, et du renversement du roi Louis XVI.
Cette étude s’appuie sur la théorie du philosophe français Jacques Derrida (2), qui parle de déconstruction, et non pas sur celle de la démolition ou du chaos créatif soutenue par Michale Ledeen (3). Pour Jacques Derrida, la survenue d’un événement qui semblait impensable aboutit à la destruction de valeurs anciennes, puis à la construction de nouvelles valeurs.
Pour illustrer la théorie de Jacques Derrida, faisons appelle à l’exemple français. Le peuple ne pouvait pas s’attendre à ce que la révolution aboutisse à la fin de la famille royale, à la décapitation des têtes couronnées. Ces événements ont conduit à la démolition des anciennes valeurs bourgeoises et la la construction de nouvelles valeurs en faveur des droits de l’homme. Le cas irakien est également un excellent exemple pour illsutrer cette théorie. En effet, personne n’aurait osé imaginer l’exécution du président Sadam Hussein, la fin de la dictature, et la mise en place d’un gouvernement central et démocratique dans un état fédéral irakien.
Qu’adviendra-t-il après cette démolition ? Les Irakiens vont-ils poursuivre cette démolition, et engager la construction de nouvelles valeurs, à l’image des Français après la Révolution ? Ou vont-ils retourner en arrière vers le tribalisme et le sectarisme, à la manière du lanceur de poids, qui prend quelques pas de recul afin de lancer son poids à une plus grande distance ? Les Irakiens veulent-ils jeter ce grand poids qui pèse sur leurs épaules depuis 1980, et qui a mis un terme à l’évolution de l’état irakien moderne ?
Pour répondre à ces questions, il est d’abord nécessaire de clarifier le mouvement de l’histoire humaine. Deux modèles existent chez les philosophes et les historiens.
Le premier modèle est celui selon lequel l’humanité détient la liberté absolue d’abandonner son passé et de chosir un nouveau chemin. Les pionniers de ce modèle sont notamment Ibn Khaldoun, Karl Marx et Jean-Paul Sartre.
Le second modèle est celui de l’inévitable, ou du fatalisme, qui implique une continuité. L’homme détient une liberté de choix mais cette liberté est conditionnée par un héritage, qui détermine son comportement et sa façon de penser et de construire sa relation à l’autre. Ainsi, les sociétés évoluent, mais elles répètent le passé, et les changement sont très lents. Parmi les pionniers de ce modèle, on compte Hegel, Spengler, Ali Al-Wardi (4), Alain Peyrefitte et Oscar Wilde.
Certains penseurs, comme Jawad Ali (5) et Abdul Rahman Badawi (6), soutiennent que ces deux modèles sont possibles en même temps.
L’objectif de cette étude est d’analyser les spécificités de la société et de la personnalité irakiennes en appliquant la théorie de Jacques Derrida, afin d’analyser la situation actuelle en Irak, et de savoir ce qui est envisageable dans un avenir proche et lointain. ,
Il convient avant tout de se demander si les Irakiens suivent la voie de la liberté (la démolition), ou celle de la continuité (fatalisme), ou encore les deux à la fois (...)
Pour mener cette étude, j’ai choisi de comparer l’Irak et les Irakiens à l’Egypte et aux Egyptiens, tel que j’ai brièvement comparé la France et la Grande-Bretagne dans cette introduction. En effet, il existe des similitudes entre l’Egypte et l’Irak. Ces deux pays ont notamment une histoire extrêmement riche. La civilisation égyptienne, née le long du bassin du Nil, est une des plus anciennes civilisations du monde. L’Irak est quant à elle le berceau de la civilisation, les Sumériens, Babyloniens et Assyriens s’étant établis le long du Tigre et de l’Euphrate. Le Nil d’une part, et le Tigre et l’Euphrate d’autre part, prennent leur source à l’étranger, emportant avec eux différentes cultures, et se déversent respectivement en Egypte et en Irak. Le désert représente une grande partie de la superficie des deux pays : environ 96% pour l’Egypte, et 50% pour l’Irak. A l’ère islamique, le Caire a été l’une des principales capitales mondiales, en particulier pendant le règne fatimide. Quant à Bagdad, à l’époque abasside occupé une place importante dans le monde,
Malgré ces similitudes géographiques, historiques et culturelles, la personnalité égyptienne et la personnalité irakienne sont très différentes. En Irak, les civilisations akkadienne, sumérienne, babylonienne et assyrienne ont cohabité. Ainsi, la langue était akkadienne et l’écriture cunéiforme. Ces civilisations ont également été marquées par une grande littérature, la poésie et l’art. L’administration a adopté des lois telles que la mise en place des écoles, des bibliothèques et des temples. Autrement dit, le caractère littéraire et philosophique de la civilisation irakienne est évident. Au contraire, la civilisation pharaonique égyptienne était basée sur l’autorité et le recours à l’esclavage pour la construction des pyramides. Contrairement à la civilisation babylonienne, la vie de la communauté n’était pas régie par les valeurs des droits de l’homme. Il est difficile de déterminer si ces différences historiques entre l’Irak et l’Egypte sont le résultat de la dualité de la personnalité irakienne, cette dernière étant le produit du conflit entre les valeurs bédouines et citadines. Pour illustrer précisément cette dualité, et opérer la comparaison entre l’Irak et l’Egypte, j’ai choisi des exemples récents.
• Sur le plan individuel.
Prenons comme exemple la façon dont les Irakiens et les Egyptiens considèrent l’Imam Hussein (7). En effet, la moitié de sa dépouille se trouve en Irak (son corps), et l’autre moitié en Egypte (sa tête). Les Irakiens considèrent avant tout l’Imam Hussein comme le maître des martyrs, le commandant des rebelles et le chef de la résistance et de la lutte pour la justice. Il est un symbole de la révolution et de la vengeance. Les Egyptiens donnent quant à eux la priorité à leur amour et à leur affection pour l"Imam Hussein.Il n’apparaît pas chez eux comme un moyen d’exprimer leur sentiment de révolte contre les oppresseurs. Comment expliquer cette différence sur le plan psychologique entre les Egyptiens et les Irakiens ?, Hassan Al-Alawi dit que la vision irakienne de l’Imam Hussein exprime peut-être le sentiment de vengeance contre la répression sectaire, inhérente aux milieux arabes chiites et inscrit dans leur inconscient collectif. Cette analyse correspond à la proposition du sociologue irakien Ali Al-Wardi.
Prenons également comme exemple une comparaison littéraire et poétique. Maruf Al-Russafi (8)et Jamil Sidqi Al-Zahawi (9) sont deux poètes irakiens célèbres. Chawqi (10), surnommé le poète du Prince, et Hafez Ibrahim (11) sont des poètes égyptiens. Ces derniers étaient connus pour faire les louanges du roi d’Egypte. Inversement, les deux poètes irakiens se dressaient contre la cour royale, alors que le roi Fayçal I (12) fut l’un des plus humbles rois arabes. Précisons qu’aucun de ces quatre poètes n’a d’origine arabe, à l’exception de Hafez Ibrahim, dont le père était d’origine égyptienne et la mère turque.
Prenons également deuxième exemple qu’il s’agit d’une comparaison entre deux journalistes politiques : l’égyptien Hassanein Heikal (13) et l’irakien Hassan Al-Alawi. Les deux journalistes présentent des similitudes. En effet, Heikal a été rédacteur en chef du journal égyptien Al-Ahram, et Hassan Al-Alawi rédacteur en chef du magazine irakien Alef Baa. Ils ont chacun contribué au grand succès de leur journal. Tous deux étant à la fois des journalistes et des intellectuels expérimentés, ils ont été influents au niveau local et au niveau régional, mais également à l’échelle internationale. L’un comme l’autre maitrisaient les ficelles de la presse politique. Après la révolution égyptienne de juillet 1952, Heikal est devenu très proche de Gamal Abdel Nasser (14). Après le coup d’Etat de Bagdad en 1968, et notamment à partir de 1975, Al-Alawi s’est quant à lui beaucoup rapproché de Saddam Hussein (15).
En dépit de toutes ces similitudes, on peut noter des différences considérables dans le comportement des deux journalistes. Hassanein Heikal considère la politique à travers la presse. Il s’est rapproché de la force émergente dans l’armée égyptienne, incarnée par Abdul Nasser. Il l’a soutenu depuis le début, malgré la présence du président Mohammad Naquib (16). Hassan Al-Alawi a au contraire suivi l’homme fort de la société civile, Saddam Hussein. Il l’a également soutenu depuis le début, malgré la présence du président Ahmed Hassan Al-Bakr. Heikal avait l’intuition que Nasser serait le prochain homme fort d’Egypte. Al-Alawi avait la même intuition pour Saddam Hussein en Irak.
Comment pouvons-nous expliquer les similitudes et les différences entre Heikal et Al-Alawi ?
Leurs similitudes s’expliquent par le fait que les deux journalistes sont la somme de leurs expériences. Ils ont agit de manière identique de part leur grand professionnalisme, en toute conscience.
En revanche, le choix pour Heikal d’un militaire, et celui pour Al-Alawi d’un homme issu de la société civile relèvent de l’inconscient. Le subconscient est un état psychique dont nous n’avons pas conscience, mais qui influe sur notre comportement. L’Egypte a été gouvernée par mamelouk, un corps militaire fermé, concentré autour du souverain. Ainsi, c’est l’armée qui possède l’Etat, et non l’Etat qui possède l’armée. Le phénomène mamelouk explique aujourd’hui la survie de l’Egypte comme le dernier pays au monde dirigé par des militaires. Le Sultan Muhammad Ali Pacha, souverain d’Egypte, était un militaire. Ainsi, le choix de Nasser pour Heikal relevait de l’inconscient. En Irak, le roi Fayçal I était un civil. Le régime civil a perduré de 1920 à 1958, puis le régime est devenu militaire pendant quatre ans. Le coup d’Etat de 1963 a été une tentative menée par les chiites baassistes pour retourner à un régime civil. Cette tentative a duré plus de neuf mois, après lesquels l’armée a pris le pouvoir jusqu’en 1968. Le choix de Al-Alawi d’amener les civils au pouvoir avec Saddam Hussein pour homme fort relève donc de l’inconscient.
Hassan Al-Alawi se distingue également de Heikal de part sa dualité. Il se positionne contre Abdul-Karim Qasim (17) en 1963, alors qu’il lui apporte son soutien dans son livre intitulé "Abdel-Karim Kassem". Il soutient Saddam Hussein jusqu’en 1980, mais s’oppose à lui dans son livre "L’Irak est une organisation secrète de l’Etat". Il soutient les Chiites dans son livre "L’Etat nationaliste et les Chiites", et s’oppose à eux dans "Le pouvoir chiite". Dans la presse, il apparaît tour à tour avec et contre les Kurdes, de même à propos des Sunnites.
Hassanein Heikal ne présente pas quant à lui un tel comportement contradictoire. Il a toujours soutenu Abdel Nasser avec constance et publié plusieurs livres sur lui. Il s’est toujours opposé à Anouar el-Sadate (18), notamment dans son fameux livre intitulé "L’automne et la colère".
La double personnalité de Hassan Al-Alawi fait de lui un penseur, philosophe, chercheur en sociologie, homme politique et journaliste de premier plan. Hassanein Heikal excelle quant à lui en tant qu’ecrivain et journaliste.
L’exemple de Hassan Al-Alawi permet-il de comprendre la dualité de la personnalité irakienne ? S’il n’est pas aisé de répondre à cette question, il est possbile de considérer que Hassan Al-Alawi (et donc la personnalité irakienne) trouve un équilibre psychologique et créatif dans ce comportement. Cela peut expliquer pourquoi il fait de son vivant l’objet de nombreux questionnements. Cette comparaison entre Al-Alawi et Heikal est pour moi le meilleur modèle de recherche correspondant à la théorie du grand sociologue irakien Ali Al-Wardi, et à celle de la démolition et de la construction de Jacques Derrida. Hassan Al-Alawi représente à la fois l’étincelle dans une boîte d’allumettes qui brûle les champs (démolition), et le coq qui, à l’aube, éveille la conscience des hommes politiques irakiens (construction).
• Au niveau social
Si ces exemples de recherches et de modèles portant sur des individus et leur personnalité n’ont pas donné d’explication convaincante à la dualité de la personnalité irakienne, il convient alors d’étudier la société irakienne.
A. La famille irakienne
La famille irakienne est le fondement de la société. Elle incarne réellement la dualité de la personnalité irakienne. Les parents irakiens souhaitent que leurs enfants accèdent à des diplômes recherchés, afin de pouvoir construire un avenir et avoir une meilleure situation qu’eux-mêmes. Pour cela, les parents attendent de leurs enfants qu’ils ne suivent pas leur exemple, et choisissent une autre profession. En revanche, les parents éduquent leurs enfants selon certaines valeurs et croyances, et attendent d’eux qu’ils les respectent et les appliquent. La famille irakienne véhicule donc dans son éducation à la fois le modèle de la démolition (liberté ou interruption) et le modèle de la continuité (fatalisme). Est-ce pour autant que la famille irakienne est la cause de la dualité contradictoire des irakiens ? La réponse est non. En effet, cette méthode d’éducation est présente partout dans le monde, notamment en France. Il faut donc aborder la société irakienne d’un autre point de vue pour tenter de trouver la réponse à notre question.
B. Est-ce que la dualité de la personnalité irakienne découle de l’incapacité à combler le fossé entre la culture et la nature, c’est-à-dire entre ce qui est fabriqué par l’homme et ce qui est donné par la nature ? Les deux fleuves, le Tigre et l’Euphrate, et entre eux le petit Zab, apportent en Irak la boue et le limon, bénéfiques à l’homme. Ils aportent également les culltures des nations extérieures (mondiales), qui se mélangent à la culture irakienne et s’adaptent aux goûts des irakiens. Il existe donc une lutte entre ce qui provient de l’extérieur (le monde) et ce qui est fait au niveau local. Cette lutte se reflète dans la politique, l’économie et l’éducation. Le conflit entre le Parti communiste (mondial) et le Parti nationaliste Al-Baath (local) donne un bon exemple de cette lutte. L’Irak est le seul pays au monde qui a publié une fatwa religieuse contre la communiste, ce qui montre la force du conflit entre le niveau local et le niveau mondial. Ce phénomène se retrouve dans la cuisine irakienne. En effet, les plats irakiens (Biryani, Tapsi, Doulma) sont composés d’un mélange de plusieurs ingrédients et présentés de façon artistique. C’est une culture distincte de la Mésopotamie.
Prenons pour exemple un autre type de conflit, qui exprime un phénomène sans pareil dans le monde entier, en espérant que cet exemple nous rapproche d’une réponse correcte.
C. Dans les années 1990, la télévision française a diffusé un reportage sur l’embargo brutal. Il abordait le fait que les Irakiens avaient été contraints de vendre leurs livres, leurs pocessions les plus précieuses, dans Mutanabi Streets. Les journalistes avaient souligné la relation spéciale entre les Irakiens et les livres. Celle-ci est un phénomène exceptionnel car l’Irak est une nation d’écriture, Ainsi, les Irakiens montrent plus d’intérêt pour les lettres que d’autres peuples, et ont donné naissance à plusieurs écoles de calligraphie arabe, et à des calligraphes célèbres, On retrouve ici la lutte subie par les Irakiens entre ce qui vient de l’intérieur et ce qui vient de l’extérieur. L’Irak de Sumer, de Babylone et l’Assyrie, ainsi que les abbassides d’al-Mansur de Bagdad et al-Rashid glorifiaient les lettres et les sciences, productions locales, contre ce qui venait de l’extérieur, comme la religion. Cette lutte s’explique par la difficulté des Irakiens à définir ce qui est sacré au niveau local comme dans ce qui provient de l’extérieur. La place de la religion est faible chez les Irakiens car celle-ci vient de l’extérieur. En effet, il n’y a jamais eu de guerre religieuse entre l’islam et le christianisme en Irak. En revanche, on a assisté à un conflit entre les chiites et les sunnites, conflit qui relève de problématiques locales.
Afin de se rapprocher davantage d’une explication de la dualité de la personnalité irakienne, il convient d’élargir l’analyse au-delà de l’espace personnel et social irakien.
3. Le choc entre le mondial et le local, entre l’externe et l’interne, provoque la destruction et la reconstruction. Différentes cultures extérieures se sont répandues en Irak, générant une génération avec de nouveaux symboles et de nouvelles valeurs.
La première destruction a été la chute de l’Empire perse sassanide au milieu du VIIème siècle. Les armées arabes islamiques sont parties de la péninsule arabique pour faire tomber l’Empire perse sassanide, qui dominait la mésopotamie (Irak). Cette armée s’est trouvée face à à une population d’environ 7 millions de personnes dont la majorité était chrétienne (nestoriens), et parlait une langue syriaque (araméen) irakienne (19). Elle comptait aussi une minorité juive (Sabean). L’armée a démoli à la fois la religion et la langue de cette population. En remplaçant le christianisme par l’islam et la langue assyrienne par l’arabe, cette invasion a permis à l’Irak de devenir une des nations les plus avancées au monde dans l’adoption des lettres et de l’écriture arabe. L’adoption rapide de la langue arabe n’est pas le fait de la contiguité avec la péninsule arabique. Elle vient de l’identité culturelle irakienne, qui donne la préférence à toute nouveauté sur les anciennes valeurs. Les Irakiens ont préféré la lange arabe et l’islam, à la langue assyrienne et au christianisme car ils considèrent comme bénéfiques les nouveaux apports. Autrement dit, les Irakiens donnent la préférence au mondial par rapport au national.
L’adoption rapide de l’arabe par les Irakiens leur a permis de participer efficacement à la montée de la civilisation islamique, depuis le début de la conquête. En raison de l’héritage de l’écriture babylonienne, les Irakiens ont été les premiers à utiliser le terme nahou, qui désigne la grammaire de l’arabe littéraire. Cette mise en place de la grammaire est devenue un enjeu pour l’explication du texte coranique. Ainsi, deux des principales écoles de grammaire du VIIème siècle se trouvaient en Irak, l’une à Koufa, l’autre à Bassora. Le remplacement de la religion chrétienne par l’islam a permis à l’Irak de devenir pionnière au niveau des écoles. Ce phénomène exprime clairement la théorie de la démolition et de la reconstruction en Irak.
La deuxième déconstruction a eu lieu quatre-vingt ans après la première. Les Irakiens ont ouvert leurs portes à l’armée perse d’Abu Muslim Khorasani (20), pour renverser le pouvoir des Omeyyades. Cette deuxième collision avec l’extérieur a apporté une rencontre entre des valeurs perses, grèques, indiennes et l’héritage local sumérien, babylonien, et assyrien. La démolition des anciennes valeurs a apporté de nouveaux symboles.
A. Le mariage.
Depuis la première période abasside (750 AD – AD 846), on remarque un phénomène de brassage culturel entre les Irakiens de souche et les non Irakiens, qui viennent de l’extérieur. Parmi les 37 khalifes abbassides, on compte trois khalifes dont la mère était arabe. Cela n’était pas autorisé pendant la dynastie Omayade, un fils d’esclave ne pouvant devenir khalife.
B. Les esclaves.
Pendant la première ère abasside, la société irakienne est devenue l’une des plus grandes sociétés de l’histoire, comptant un important nombre d’esclaves venant des quatre coins du monde. Certains parmi eux sont arrivés au sommet du pouvoir, comme Kafour Al-Ikhsidi, sultan d’Egypte, de même que les mères et femmes des khalifes, telle que la mère du khalife Bagdad Al-Rashid. Le rôle des esclaves a eu un effet positif car il a contribué à la diffusion de la culture et des arts de leur communauté d’origine. Ils ont infulencé la musique, le chant, l’art culinaire, la mode, la littérature et la poésie. Ils ont également influencé des écrivains, comme Abou Nuwas et Jinan (21).
C. La participation des femmes.
Les femmes ont participé dans presque tous les domaines, y compris en politique, à ce phénomène de destruction des anciennes valeurs et de constructions de nouvelles valeurs, causé par la collision entre l’intérieur et l’extérieur. La mère du khalife abbasside al-Muqtada a notamment exercé le pouvoir judiciaire (22).
La troisième déconstruction correspond à la fondation d’un nouvel état irakien au début du XXème siècle, provoquant la démolition des anciennes valeurs et la construction de nouvelles valeurs urbaines après l’invasion et l’occupation par la Grande-Bretagne. Cette démolition des valeurs anciennes a été le résultat de la collision entre les valeurs britanniques et les valeurs locales irakiennes. Les loyautés tribales, et sectaires ainsi que les valeurs religieuses ont été remplacées par la loyauté envers la Constitution. De plus, les frontières de l’Etat irakien, et une capitale, Bagdad, ont été définies, et reconnues au niveau international. On note également la naissance d’une institution militaire nationale, et l’émergence de nouvelles valeurs sociales, telles que la citoyenneté, la liberté, l’égalité, la justice, l’indépendance et l’auto-détermination. Selon le sociologue irakien Faleh Abdul-Jabbar (28), cette mise en place de l’Etat irakien moderne a affaibli les appartenances religieuses, ethniques et communautaires.
On peut donc considérer que l’Irak est devenu un grand pays au fur et à mesure des collisions violentes entre l’extérieur et l’intérieur.
Conclusion
Cette étude nous a permis d’obtenir des clés pour mieux comprendre l’Irak, même si la personnalité irakienne reste toujours en question. Elle complète l’étude menée par le grand sociologue irakien Ali Al-Wardy, qui a écrit plusieurs ouvrages sur la société et la personnalité irakiennes. Ali Al-Wardy considère en effet que la personnalité irakienne est marquée par une forte dualité (double personnalité), due à une lutte permanente entre les valeurs bédouines et les valeurs citadines.
Cette étude est basée sur la théorie de la déconstruction de Jacques Derrida, selon laquelle un événement qui paraissait impossible entraîne la destruction des valeurs anciennes et la reconstruction des valeurs nouvelles, à l’image de la révolution française de 1789.
La conclusion de cette étude est tout à fait différente de celle du sociologue Ali Al-Wardi. Il apparaît en efft que cette forte dualité provient de l’identité irakienne au niveau culturel et non pas militaire. Cette identité culturelle irakienne trouve ses racines dans l’inconscient collectif qui remonte à plus de 6000 ans. Elle est le résultat de collisions entre l’extérieur et l’intérieur, qui génèrent une destruction des valeurs et symboles anciens, remplacés par des valeurs et symboles nouveaux. L’Irak et les Irakiens se comportent de cette façon depuis toujours. Reprenons trois exemples pour clarifier notre propos.
Le premier est la collision entre les arabes de la péninsule d’Arabie (extérieur) et les Irakiens chrétiens et syriaques (intérieur). Cette collision a entraîné le remplacement de la religion chrétienne par l’islam, et de la langue syriaque par la langue arabe. Elle a permis à l’Irak et aux Irakiens d’occuper une place importante dans le monde arabo-musulman, et à la ville de Koufa de devenir la capitale du khalifa islamique.
Le deuxième exemple est la collision avec l’armée perse venant d’Iran pour mettre fin à la dynastie Omeyyade, remplacée par la dysnastie Abbasside. Suite à cette collision, Bagdad est devenue la capitale de l’Empire islamique, et a occupé une place très importante dans le monde à l’époque du khalife Haroun Al-Rashid.
Le troisième exemple est la collision entre les Anglais et les Irakiens en 1920, après l’occupation de l’Irak par la Grande -Bretagne. Elle a permis aux Irakiens de fonder un état moderne en remplaçant les anciennes valeurs comme l’appartenance communautaire, religieuse ou ethnique, par des nouvelles valeurs et institutions comme la citoyenneté, la Constitution, l’armée nationale, le service public, le Parlement et l’Etat nation.
La question que nous nous posons à présent est la suivante : les Irakiens vont-ils reconstruire des nouvelles valeurs après l’occupation américaine de l’Irak en 2003 ? Si l’on en croit la présente étude, la réponse est oui.
BIBLIOGRAPHIE
1. Hassan Al-Alawi: Il est un écrivain, penseur,sociologue Irakien né à Bagdad en 1936 d’une famille très cultivé possède une vaste bibliothèque de livres patrimoine, et il est aussi un journaliste arabe engagé dans le movement nationaliste arabe de parti Ba’th . Al-alawi était très proche de l’ancien président de la République d’Irak Saddam Hussein
2. Jacques Derrida: est un philosophe français né en 1930 en Algérie et mort en 200 Paris. Il est l’inventeur de la thèorie de la déconstruction
3. Michael Ledeen: né en 1941 à Los Angeles, et est un éditorialiste réqulier de les
revue néoconservatrice Nationel Revieu, et principal conseiller pour les affaires internationales de Karl Rove. Il est un néoconservateur adepte de la théorie du Grand Orient
4Ali Al-Wardi: est un penseur et sociologue Irakien né en 1931 à Bagdad et mort en 1995 à Bagdad.Il a publié plusieurs livres en s’appuyant sur la théorie d’Ibn Khaldun sur la société nomade contre la société civile
5Jawad Ali: est un grand historien Irakien né en 1907 à Bagdad et mort en 1987 à Bagdad. Il a publié son fameux livre Histoire des Arabes avant l’Islam
6Abdel Rahman Badawi: né en 1917 en Egypte ,mort en 2002 au Caire. Existentialiste égyptien,est professeur de philosophie et poète. Il a signé plus de 150 travaux,dont 75 articles d’encyclopédie
7Imam Hussein:né en 625 à Médine et mort en 680 en Irak. Il est le petit fils du prophète de l’Islam mohammed,fils d’Ali et de Fatima et le troisième des douze imams du chiisme duodécimain
8Ma’rouf Al-Russafi:né en 1875 et mort en 1945 à Bagdad,était un poète,éducateur et érudit littéraire d’Irak. Il est considéré par plusieurs comme figure controversée dans la littérature irakienne moderne en raison de son plaidoyer de liberté et d’opposition à l’impérialisme et est connu comme un proche de la liberté
9Jamil Sidqi Al-Zahawi: né en 1863 et mort en 1936 à Bagdad,étéit un poète et philosophe irakien proéminent. Il est considéré comme l’un de plus grands poète contemporains du monde arabe et était connu pour sa défence des droits des femmes
10Ahmed Chawqi: né en 1868 et mort en 1932,est un poète et dramaturge égyptien. Considéré comme l’un des pionniers de la littérature arabe. Il est surnommé le prince des poètes
11Hafiz Ibrahim: né en 1872 et mort en 1932,est un poète égyptien surnommé le poète du Nil
12Fayçal Ier: né en 1883 en Arabie Saoudite et mort en 1933 en Suisse, Il est le ils de Hussein ben Ali chèrif de la mecque et roi du Hadjaz,il est lui-même le premier roi d’Irak sous le nom Fayçal Ier
13Hassanein Heikal: né en 1923 et mort en 2011 en Egypte. Il était un journaliste égyptien . Pendant 17 ans il a été rédacteur en chef du journaliste Al-Ahram du Caire et a été commentataire des affaires arabe depuis plus de 50 ans. Il a été très priche de prisident Abdel Nasser
14Gamal Abdel Nasser: né en 1918 et mort en 1970 au Caire,est un homme d’Etat égyptien. Il fut second président de la république d’égypte de 1956 à sa mort
15Saddam Hussein: est un homme d’Etat irakien,né en 1937 et exécuté par pendaison en 2006 à Bagdad. Il fut le président d’Irak de 1979 à 2003
16Mohammed Naguib: né en 1901 et mort en 1984 au Caire,est un homme d’Etat égyptien. Il est le premier président de la République d’égypte. Il occupa ce poste depuis la proclamation de la République de 1952 à 1954
17Abdul Karim Qasim: né en 1914 à Bagdad,mort en 1963 à Bagdad. De 1958 à 1963 il occupe le poste de premier ministre d’Irak
18Anouar el-Sadate: né en 1918 et mort en 1981 au Caire. Il était le troisième président de la République d’égypte,au service de 1970 jusqu’à son assassinat en 1981
19Salim MATAR-L’arrivé de l’Islam et l’arabisation en Irak .1 encyclopédie libre. .
.20Abu Musli el-Khurassani: né à Balkh en Iran,mort en 755,est général abbasside,fils d’un zoroastrien persan,
21Abou Nuwas: né en 757 et mort en 815 en Iran. Il était le poète préféré les hommes poète de tous les temps
22. Mohammed Khrissan: La femme et la participation politique. Beyrouth 1997
ارسال نظر